LES RESSOURCES
L'EAU DOUCE DU QUÉBEC
L'EAU DOUCE SUR LA PLANÈTE BLEU
Non seulement l’eau douce représente-t-elle à peine 2,5 % de l’eau sur Terre, mais de surcroît, cette eau essentielle à la vie est répartie de façon très inéquitable sur le globe. À l’heure actuelle, plus d’un milliard de personnes n’a pas accès à l’eau potable. Dans les aires urbaines de plusieurs régions du globe, la demande pour l’eau douce excède souvent la quantité d’eau disponible dans le milieu avoisinant. Or, les populations urbaines continuent à croître à une vitesse inégalée. En effet, depuis 2008, selon l’ONU, plus de la moitié de la population mondiale vit dans les villes.

Entre 1961 et 2001, la consommation mondiale d’eau a doublé, mais la quantité d’eau douce sur Terre demeure inchangée. À long terme, cette situation de déséquilibre exacerbera la compétition pour l’accès aux ressources hydriques et conduira à de potentiels conflits socioterritoriaux susceptibles de dégénérer en guerres. Déjà, l’eau est une ressource géostratégique majeure : elle est au centre d’enjeux vitaux et multidimensionnels à l’échelle du globe.
Ainsi, l’eau douce subit une pression grandissante, ce qui amène nécessairement à questionner les modèles actuels de gouvernance de l’eau. Aujourd’hui, même les États jouissant d’une grande richesse en eau douce tels que le Québec commencent à protéger leurs ressources hydriques. En effet, depuis une vingtaine d’année, le Québec semble prendre conscience de la rareté et de la fragilité de la ressource ainsi que de l’importance de légiférer pour la protéger. Mais cette prise de conscience suffira-t-elle àprotéger l’eau douce durablement?
Au Québec, l’intérêt accordé à la gestion et à la protection de l’eau est relativement récent. Ce n’est qu’à partir des années 1970, face à la dégradation de la qualité de l’eau du fleuve Saint-Laurent, que le gouvernement intervient dans ce domaine. La gestion de l’environnement commence alors à s’institutionnaliser, notamment à travers la création du ministère de l’Environnement en 1979. La décennie 1980 est principalement dédiée à l’ajustement des organes de gestion publique de l’environnement et à l’aménagement du territoire. À partir des années 1990, à la suite d’une tentative de privatisation de l’aqueduc à Montréal, la gestion de l’eau s’ouvre graduellement à une participation plus active de la société civile. Certains comités, tels le Comité de valorisation de la rivière Boyer et la Corporation de gestion du développement du bassin de la Saint-Maurice, voient le jour au début de cette décennie.
L’idée de privatiser l’eau à Montréal a provoqué de nombreux débats et a donné le jour à la Coalition pour un débat public sur l’eau qui deviendra plus tard Eau secours!. Différents types d’acteurs commencent alors à s’imposer en tant qu’interlocuteurs dans des discussions qui, jusque-là, étaient principalement polarisées entre le secteur public (c.-à-d. les organes gouvernementaux) et le secteur privé. Cette diversification des acteurs dans les débats constitue un premier tournant en matière de gouvernance de l’eau au Québec. Engager le débat dans la sphère publique et inscrire l’enjeu de l’eau à l’agenda politique sont importants, car ils évitent que l’intérêt général ne soit confondu avec les intérêts dominants, soit ceux des entreprises et des promoteurs du développement. En 1999, la polémique quant à l’exportation d’eau provenant du Québec incite le Parlement du Québec à mettre sur pied la Loi sur la préservation des ressources en eau qui interdit, à partir du 21 octobre 1999, de transférer hors du Québec des eaux qui sont prélevées au Québec. En 2001, après la tragédie de Walkerton, la population québécoise affiche son inquiétude face à la qualité de l’eau provenant des aqueducs, ce qui amène Québec à instaurer un règlement sur la qualité de l’eau potable. Ce règlement oblige les exploitants d’un système de distribution d’eau, qu’il soit municipal ou privé, à respecter des exigences de contrôle plus strictes et rend obligatoires la désinfection et la filtration de l’eau.
GOUVERNANCE DE L'EAU AU QUÉBEC
Depuis 2002, deux lois principales sont venues renforcer la PNE. En 2008, Québec adopte la loi visant à affirmer le caractère collectif des ressources en eau et à confirmer son statut juridique : qu’elle soit de surface ou souterraine, l’eau constitue dorénavant une ressource collective et fait partie du patrimoine commun de la nation québécoise. En 2009, la Loi affirmant le caractère collectif des ressources en eau et visant à renforcer leur protection est adoptée. Cette nouvelle loi reconnaît l’accessibilité à l’eau potable pour toute personne physique et énonce certains principes, dont le devoir de prévenir les atteintes aux ressources en eau et de réparer les dommages qui peuvent leur être causés. Cette loi institue un recours de nature civile permettant au Procureur général d’exiger la réparation de tout préjudice écologique subi par les ressources en eau, par une remise en l’état initial ou par le versement d’une indemnité financière, entre autres. Aujourd’hui, la gestion des cours d’eau repose notamment sur l’implication des collectivités à travers la concertation et le partenariat volontaire. Or, l’apparition de ces nouveaux espaces délibératifs et de nouvelles règles provoque une réorganisation fondamentale des relations entre les acteurs de l’eau. La gestion de l’eau, basée sur une approche centralisée, est en période d’ajustement : elle présente de nouveaux visages et implique un nombre croissant d’acteurs sociaux.

L'EAU AU COEUR D'ENJEUX VITAUX
Le réchauffement climatique est susceptible d’entraîner des modifications importantes du régime hydrologique du fleuve Saint-Laurent. Déjà, une augmentation de l’évaporation ainsi qu’une diminution des apports en eau ont provoqué une baisse du niveau des Grands Lacs et du fleuve entre les années 1990 et 2001.
Lesmodèles de prévisions climatiques suggèrent que l’augmentation de la température pourrait réduire le débit depuis le lac Ontario vers le Saint-Laurent et réduire le niveau de l’eau à Montréal de 0,2 à 1,2 mètre20. De plus, à l’échelle du globe, les spécialistes des environnements marins observent une augmentation du niveau de la mer qui pourrait provoquer la migration du front salin de l’est à l’ouest de l’île d’Orléans. Or, une remontée vers Montréal
des eaux salées de l'estuaire menacerait des prises d'eau municipales, réduirait l'accès aux milieux humides à toutes les espèces aquatiques et ailées qui en dépendent et provoquerait un chambardement complet de l'écosystème fluvial.
Montréal occupe la troisième position d'un classement établissant les 50 premiers pollueurs de l'eau au Canada à cause, notamment, de l'importance des rejets d'ammoniac et de phosphore émis par ses usines de traitement d'eaux usées. La majorité des enjeux liés à la qualité de l’eau découlent des activités agricole et industrielle et de la consommation domestique. L’agriculture intensive et vouée à l’exportation est le modèle qui prévaut au Canada comme dans la plupart des autres pays évoluant dans un système capitaliste. Ce type d’agriculture repose sur l'usage intensif de produits chimiques (engrais, fongicide, etc.) qui ont des impacts notables sur la qualité de l’eau. Par exemple, l’Atrazine (herbicide) a pour effet de castrer chimiquement les grenouilles et certaines espèces de poissons, en plus d’être associé au cancer de la prostate et au cancer du sein. Banni dans plusieurs pays, l’Atrazine est toujours utilisé au Canada.
Les rejets industriels (polluants toxiques, organiques et fertilisants) peuvent aussi augmenter la turbidité des eaux. Le dragage et le batillage des navires marchands et des navires de plaisance ont pour conséquence la présence de métaux lourds (notamment du mercure), de produits chimiques, de phosphore et de matières en suspension véhiculées en grande quantité par les affluents. La pollution domestique urbaine se traduit [principalement] par des taux élevés de coliformes fécaux, de phosphore et d'azote dans l'eau. Le ruissellement de l’eau de pluie sur les routes et le débordement des égouts où transitent les eaux pluviales sont aussi des sources de pollution urbaine. Une seule goutte d’huile rend impropre à la consommation 25 litres d’eau potable. Enjeux d’appropriation La pression grandissante sur l’eau amène une situation de compétition, ce qui crée de nombreux conflits d’usage de l’eau. Par exemple, un conflit peut survenir entre un embouteilleur (privé) et une communauté (citoyens) qui puisent leur eau dans la même nappe phréatique. L’appropriation de la ressource suscite déjà des confits entre des collectivités rurales, autochtones ou agricoles et des grands centres urbains.
ENJEUX DE QUALITÉ
LES ENJEUX DE L'EAU VUS PAR LES ACTEURS DE L'EAU
L’eau est au coeur de plusieurs enjeux économiques : la valeur économique des différents usages du Saint-Laurent est estimée à 65 milliards de dollars pour 20 ans31. La priorisation de certains usages est souvent faite à partir de critères économiques. L’eau souterraine est aujourd’hui considérée comme une ressource qu’il est possible d’extraire jusqu’à épuisement, au même titre qu’un minerai, plutôt qu’une ressource renouvelable qu’il faut gérer et entretenir. En bref, la préservation des ressources hydriques est problématique dans une société axée sur le gain financier.
Par ailleurs, il existe des ambiguïtés juridiques en matière de gestion de l’eau, notamment autour des droits d’usage et d’appropriation de la ressource. La mise en place de lois et règlements fait face à de sérieuses résistances de la part de plusieurs acteurs qui ont un intérêt direct (à ce que la situation actuelle perdure). Il faut ajouter que les capacités administratives d’inspection et de contrôle d’exploitation des eaux souterraines sont limitées puisque les organes de contrôle sont relativement jeunes, que la cartographie des nappes phréatiques est incomplète et que le territoire est très vaste. Cette situation peut potentiellement permettre à certains acteurs de l’eaud’abuser de la ressource.

MOINS D'EAU?
Les impacts du réchauffement climatique sont au coeur des préoccupations des différents acteurs interviewés : c’est l’enjeu qui a été mentionné le plus souvent en premier lieu. Les changements climatiques ont déjà des conséquences notables sur l’environnement, au Québec comme ailleurs, et d’après les Tous les acteurs interviewés s’entendent pour dire que Québec et la RMM devront rapidement trouver des solutions pour pallier les impacts du réchauffement climatique, notamment les variations des débits d’eau. La réduction du débit dans le fleuve Saint-Laurent est susceptible d’engendrer de sérieux conflits entre les états et provinces limitrophes aux Grands Lacs ainsi qu’entre le Canada et les États-Unis (Expert, entrevue 2011). Chacun des acteurs voudra s’approprier plus d’eau pour répondre aux besoins grandissants de sa population et de ses industries alors que la quantité d’eau disponible diminue. Par ailleurs, le Québec est géographiquement désavantagé puisqu’il se trouve en aval de l’Ontario et des États américains sur le Saint-Laurent (Représentant ONG et producteur, entrevues 2011).
Les personnes interviewées, croient que l’appropriation de l’eau sera un enjeu central dans les années à venir. Cet enjeu est abordé sous divers angles, mais est souvent associé à la privatisation. Au Québec, il y a un risque d’appropriation de la ressource par certains groupes d’intérêts. Depuis une vingtaine d’années, il y a des attaques pernicieuses, notamment à travers les médias, au système de santé public, pour la gestion privée de l’aqueduc et de l’éducation. Il y a un danger que l’opinion publique soit manipulée et que la privatisation se fasse sans qu’il n’y ait de débat. Il ne faut pas oublier que l’eau est une opportunité financière (Représentant syndicat, entrevue 2011).
Une des représentantes d’ONG abonde dans la même direction : Le plus gros défi pour l’eau est la rapacité humaine. Beaucoup de gens voudront s’approprier la ressource pour la marchander. En réalité, ça se fait déjà : il n’y a que quelques multinationales qui gèrent la quasi-totalité des marques d’eau embouteillée (Coca-Cola, Danone, Nestlé et Pepsi) et les systèmes de distribution privés (Bouygues, Vivendi, Suez). Lorsqu’un même plan d’eau est sollicité pour différents usages, une priorisation des usages doit être faite. Ainsi, il est possible de déterminer quelle quantité d’eau sera attitrée à quel usage. En théorie, cela fonctionne bien. En pratique, toutefois, certains usages priment presque systématiquement. Historiquement, les niveaux d’eau ont été régulés pour subvenir au besoin de l’industrie de la navigation et de l’hydroélectricité [deux secteurs lucratifs] plutôt que de préserver les milieux humides (Expert, entrevue 2011). Les ambiguïtés juridiques en matière de droit à l’eau et d’appropriation de la ressource ont eu des répercussions directes sur le territoire montréalais. Par exemple, pendant plus d’un an, la multinationale PepsiCo a utilisé l'eau de l’aqueduc de la ville de Montréal pour remplir ses bouteilles d'eau de marque Aquafina ainsi que pour produire l’ensemble de ses autres boissons (Représentant comité citoyen, entrevue 2011). PepsiCo achetait l’eau de la Ville au prix de 10 cents les 100 litres38. Rappelons que sur le marché de l'eau embouteillée au Québec, l'Aquafina, issuedes robinets de la ville de Montréal, se vend entre 3 $ et 6 $ le litre.
TOUS POUR L'EAU, MAIS L'EAU POUR QUI?

ÉCHIQUIER DES ACTERUS DE L'EAU
AU QUÉBEC
Voici les acteurs officiels et officieux – et positions des principaux types d’acteurs impliqués dans la gouvernance de l’eau au Québec. Les acteurs au rôle « officieux » tentent d’influencer les décisions gouvernementales par différents moyens (lobby, études, grèves, congrès, manifestations, etc.) et grâce à certains pouvoirs. Les limites dans l’attribution des pouvoirs sont établies par les normes, lois et politiques existantes. La disposition des types d’acteurs est fonction du pouvoir exercé par chacun : les acteurs dans le haut du schéma ont plus de pouvoir que ceux situés dans le bas. Les flèches reliant certains types d’acteurs illustrent que les individus peuvent se rallier à des groupes pour bénéficier d’une plus grande représentation au sein des processus de gouvernance de l’eau.
Les acteurs supranationaux trouvent leur place dans la partie supérieure du schéma puisque d’une part, ils bénéficient d’une plateforme internationale pour diffuser leurs visions de la gouvernance de l’eau et, d’autre part, ils ont les moyens financiers et la technologie pour faire valoir leurs idées. Les acteurs supranationaux participent et financent diverses plateformes internationales (p. ex. le Forum mondial de l’eau) où des gouvernements, des compagnies et des organisations non gouvernementales définissent des normes et des politiques en matière d’eau. Ce faisant, ces institutions ont un pouvoir d’influence notable sur les différents paliers décisionnels. Elles peuvent aussi octroyer des prêts sous certaines conditions (ex. : la Banque mondiale (BM) peut octroyer un prêt pour réfection du système d’aqueduc à condition que le pays engage une compagnie donnée). La légitimité des institutions de Bretton-Woods est mitigée. Ces institutions sont financées par les États membres et gèrent une quantité phénoménale d’argent : la BM et le Fonds monétaire international (FMI) agissent à titre d’institutions financières. Ces organismes supranationaux adoptent une vision néolibérale dans laquelle l’eau est une ressource permettant de réaliser un profit monétaire, ce qui encourage fortement la privatisation de l’eau ou de ses infrastructures. Selon les règles en vigueur au Canada, le gouvernement fédéral est responsable des eaux traversant les frontières provinciales et nationales, de même que des eaux navigables. Il revient à ce même palier gouvernemental de signer les accords internationaux. Par ailleurs, il détient un pouvoir législatif primant sur le gouvernement provincial, ce qui lui permet de s’infiltrer dans les sphères décisionnelles de ressort provincial. Environnement Canada est l’expertise nationale en matière d’eau et son rôle est de protéger la santé des Canadiens et des écosystèmes. Cet organisme bénéficie d’une certaine légitimité et est reconnu mondialement. Il y a ce pendant un bémol : aujourd’hui, la population canadienne n’est plus au courant des résultats des recherches qui y sont effectuées.
Depuis l’élection du gouvernement Harper, il y a un réel contrôle de l’information. La population n’est pas au courant du résultat des recherches effectuées… C’est beaucoup plus complexe qu’avant pour un journaliste d’obtenir une autorisation d’entrevue. Le processus est long et fastidieux, donc ça décourage les journalistes et l’information n’est plus diffusée au grand public. (Représentant du secteur public, entrevue 2011) Les organismes et institutions du gouvernement fédéral disposent de ressources relativement imposantes. Cependant, comme ils sont financièrement dépendants de ce palier de gouvernement, ils doivent respecter les lignes directrices qui leur sont données par ce gouvernement. Malgré les ressources mises à la disposition d’Environnement Canada, il est impossible de couvrir tout le territoire du Saint-Laurent étant donné son énorme superficie. Dès lors, il faut prioriser les actions.
Le gouvernement provincial gère les eaux souterraines ainsi que les eaux de surface sur son territoire. Il peut, par le biais de certains mécanismes de consultation publique (p. ex. BAPE), adopter des lois (p. ex. loi confirmant le statut juridique de l’eau) et des politiques (p. ex. PNE) s’appliquant à toute la province entière. Au Québec, c’est le ministère du Développement durable, de l’Environnement, de la Faune et des Parcs (MDDEP), aidé du Regroupement des organismes de bassins versants du Québec (ROBVQ) (interlocuteur privilégié pour la mise en place de la gestion intégrée de l’eau par bassin versant (GIEBV)), qui orchestre la gouvernance de l’eau. Le MDDEP a le pouvoir de légiférer, mais les lois doivent passer en commission parlementaire et il doit y avoir des consultations publiques avant qu’elles ne soient adoptées. Les institutions du gouvernement provincial bénéficient d’une certaine légitimité auprès de la population : elles existent maintenant depuis plusieurs décennies et ont au sein de leur équipe des cher cheurs et scientifiques hautement diplômés39. Le Ministère dispose de ressources limitées pour atteindre ses objectifs puisque le gouvernement provincial vise la réduction du déficit (Représentant public, entrevue 2011). Pour effectuer les tâches liées à l’assainissement de l’eau et à sa distribution, une municipalité peut faire affaire avec le secteur public ou privé. Néanmoins, au Québec, la majorité des infrastructures de l’eau appartient au secteur public. Ce sont traditionnellement les municipalités qui planifient, financent, entretiennent et contrôlent les activités relatives à ce service. Toutefois, avec l’accord commercial qui se négocie entre le Canada et l’Union européenne (AÉCG), il est probable que le Canada vende le droit à l’eau et le droit à ses infrastructures aux compagnies multinationales européennes d’ici quelques mois (les négociations sur l’AÉCG ont débuté en 2010, avant que le gouvernement conservateurne forme un gouvernement majoritaire).

PISTES DE SOLUTIONS AUX ENJEUX DE L'EAU
Il existe une panoplie d’améliorations simples et efficaces pour minimiser l’impact des enjeux dont il a été question. Premiè-rement, tous les acteurs interviewés ont mentionné que l’information et l’éducation sont au centre de toutes les solutions (entrevues 2011). Intensifier les efforts auprès des grands consommateurs et pollueurs serait définitivement bénéfique. Miser non seulement sur le traitement des eaux usées, mais surtout sur la prévention et sur la réduction de pollution à la source permettrait de préserver la ressource dans sa quantité48 et de diminuer considérablement les coûts liés à son transport et à son traitement. En ce qui a trait au contrôle de la quantité d’eau dans le Saint-Laurent, il faudrait que des organes tels que la Commission mixte internationale (CMI) parviennent à équilibrer la priorisation des usages, ce qui pourrait améliorer la gouvernance de l’eau. Actuellement, pratiquement tout se chiffre. Il faut trouver une stratégie pour chiffrer l’inchiffrable : combien vaut la préservation d’un marais par exemple? Les scénarios proposés à la CMI considèrent les multiples usages, mais c’est souvent le scénario le plus payant qui est retenu.
Ainsi, le dragage permettant la navigation de plus gros navires sera priorisé au détriment de l’écosystème. À ce stade-ci, c’est un choix de société : voulons-nous un canal où il n’y a plus de vie ou un fleuve? (Expert, entrevue 2011). Ainsi, il semble qu’il faille adopter un langage économique pour défendre l’écologique. L’ouverture d’un poste de ministre de l’eau, ou encore la création d’une régie de l’eau, pourrait par ailleurs aider à gérer les problèmes collectifs de l’eau et à développer une vision globale de ce que la société souhaite en matière de gestion de l’eau.
Pour améliorer la qualité de l’eau, réduire la contamination à la source est la première étape. Pour ce faire, un changement de mentalité face à l’eau et un ajustement de la forme d’urbanisation sont nécessaires. Des solutions simples, telles que garder davantage de milieux humides près des villes, peuvent faire de grandes différences. En effet, les milieux humides sont les reins de nos territoires : ils filtrent l’eau et la nettoient… naturellement et gratuitement (Représentant expert, entrevues 2011). Par ailleurs,
laisser une bande riveraine entre les terres exploitées et les cours d’eau permet de réduire les contaminants dans l’eau ainsi que de minimiser l’érosion des terres (Représentant producteur, entrevue 2011). Il est également possible de privilégier des engrais et des types de cultures moins dommageables pour l’eau. Le gouvernement pourrait, par exemple, donner des crédits d’impôt pour inciter les agriculteurs à l’utilisation de produits plus écoresponsables.
Il est aussi envisageable d’innover ou d’investir un peu plus pour mieux nettoyer l’eau. Certaines technologies, plus efficaces mais plus dispendieuses que celles utilisées dans les principales usines de traitement d’eau de Montréal, sont disponibles. Notamment le traitement UV qui irradie les bactéries et l’ozonation et en plus, enlève les virus et brise les substances chimiques. L’adoption ou non d’un autre type de traitement s’avère être un choix de société, c’est une question de priorité d’investissement. Pour minimiser les risques d’appropriation du service d’aqueduc par le privé, il est possible de mettre sur pied un fonds public sur l’eau permettant à la Ville d’amasser l’argent nécessaire à la réfection des canalisations d’eau potable et à la mise à jour des technologies dans les usines de traitement d’eau. Ce fonds pourrait également être alimenté par des redevances sur l’eau, qui devraient être plus importantes en termes de montants que les redevances symboliques actuellement en vigueur au Québec. Pour éviter que l’eau ne devienne une marchandise et soit traitée au même titre que n’importe quel bien, il serait envisageable d’inscrire dans les traités de l’ALENA et l’Organisation mondiale du commerce (OMC) que l’eau ne fait pas partie des accords commerciaux. Selon l'accord de libre-échange nord-américain (ALENA), l’eau deviendra un bien commercial dès qu'elle sera, même une seule fois, un objet de transaction financière entre deux partenaires de pays différents. Dès lors, aucun gouvernement ne pourra plus réglementer sa gestion sans que cela devienne une entrave au libre-échange.
En ce qui concerne la gouvernance de l’eau au Québec, plusieurs avancées ont été faites. Néanmoins, il reste beaucoup à faire pour protéger l’eau durablement. Ainsi, aucune gouvernance légitime ou durable ne peut être mise en oeuvre sans la participation de la société civile. Au Québec et dans la RMM, la participation citoyenne dans la gouvernance de l’eau s’effectue à travers différents mécanismes. D’abord, par l’intermédiaire des élus et de l’autorité publique les représentant, mais également grâce aux conseils d’agglomération, aux tables de concertation des OBV et aux consultations publiques du BAPE. Pour augmenter la légitimité de la gouvernance de l’eau au Québec, des référendums sur des questions précises qui font l’objet de vives polémiques, telle l’exportation de l’eau, pourraient avoir lieu.
Dans l’organisation de la gouvernance de l’eau au Québec, le gouvernement provincial est garant et protecteur de la ressource eau et il y a divers types d’acteurs impliqués dans la gouvernance. Il est essentiel toutefois que certains dispositifs soient mis en place pour que le pouvoir et la représentation des différents acteurs soient plus équitables. Le troisième facteur, quant à lui, n’est pas comblé. La PNE n’a pas de portée légale et il y a peu de contrôle sur le terrain. Près de la moitié des acteurs ayant participé à cette recherche croient que la PNE devrait être plus contraignante et arrimée au cadre juridique. Il serait également pertinent d’arrimer les PDE et les schémas d’aménagement des municipalités régionales de comté (MRC). Pour que ce soit réalisable, il pourrait y avoir moins d’objectifs et d’actions dans les PDE. L’idée est de prioriser les actions pour ne pas décourager les MRC. Les OBV pourraient aussi bénéficier d’un plus grand soutien financier pour faire des actions sur le terrain puisque, bien que ça ne soit pas dans leurs mandats officiels, les OBV sont jugés par leurs actions sur le terrain (Représentant OBV, entrevue 2011). Les OBV pourraient ainsi bénéficier d’un plus grand pouvoir au sein de la gouvernance, ce qui aiderait à la mise en place de la GIEVB.
Dans la gouvernance de l’eau au Québec, il semble que tous les joueurs nécessaires soient impliqués : inclure d’autres acteurs pourrait alourdir la mise en place de changements et complexifierait la communication entre ces mêmes acteurs. Toutefois, le pouvoir est réparti d’une telle manière que certains intérêts sont mis de l’avant alors que d’autres sont peu pris en compte. Les organismes supranationaux semblent avoir plus de poids dans la gouvernance de l’eau que les ONG, par exemple. De plus, les
initiatives de gestion concertée et intégrée préconisées par la PNE peuvent difficilement être effectives puisque les OBV ont très peu de moyens financiers, peu de légitimité et aucun pouvoir juridique. Ainsi, le cadre (PNE) et les outils (OBV) existent pour qu’une gestion durable, intégrée et équitable de l’eau soit mise en place. Il faut néanmoins que l’eau devienne une réelle priorité politique pour qu’une réelle forme de gouvernance participative émerge dans la gestion de la ressource eau au Québec. Cependant, pour qui regarde l’évolution de la gouvernance de l’eau au Québec, il est possible de remarquer que l’adoption de lois découle généralement d’accidents ou de manifestations citoyennes. Pour éviter que la situation actuelle ne se dégrade, il serait avantageux d’utiliser le principe de précaution. C’est-à-dire que lorsqu’il existe des raisons suffisantes de croire qu’une activité ou un produit risque de causer des dommages graves et irréversibles à la santé ou à l’environnement, celui-ci devrait être interdit par la loi. Certes, les normes de rejets et de traitement pourraient être revues. L’utilisation de l’Atrazine, par exemple, pourrait être prohibée.
Au niveau de l’appropriation, les gouvernements des différents paliers songent à inclure les services d’eau potable et de traitement des eaux usées dans l’Accord économique et commercial global (AECG) entre le Canada et l’Union européenne. Toutefois, les expériences en matière de privatisation n’ont pas été concluantes dans le monde et, en Europe, aux États-Unis et en Amérique latine, la tendance observable est à la remunicipalisation des réseaux d’aqueducs58. Il est donc nécessaire qu’il y ait un débat de
fond sur la question et des études exhaustives et impartiales sur la pertinence d’une telle privatisation. Il reste que les gouvernements provinciaux et municipaux doivent prendre des mesures concrètes pour protéger les systèmes d’eau et agir en cohérence avec les orientations de la PNE, et ce, afin d’assurer la protection de cette ressource unique, de gérer l’eau dans une perspective de développement durable, de mieux protéger la santé publique et celle des écosystèmes, d’améliorer la gestion des services d’eau etde favoriser les activités récréotouristiques liées à l’eau.
Rapport fait par Isabelle MARCOTTE-LATULIPPE & Catherine TRUDELLE
VERS QUELLE GOUVERNANCE?
CONCLUSION